Matthieu Thivet, ingénieur de recherche au laboratoire Chrono-environnement à Besançon, s’est spécialisé dans la télédétection des objets du patrimoine.
Partenaire de Bibracte, il s’interroge, à l’occasion d’une importante session d’acquisition de données au Centre archéologique européen, sur les usages scientifiques de ces numérisations.
Matthieu Thivet est docteur en archéologie et ingénieur de recherche au laboratoire Chrono-environnement (UMR 6249 – CNRS – Université de Bourgogne-Franche-Comté), elle-même fédérée à l’UAR 3124 Maison des Sciences de l’Homme et de l’Environnement.
Il travaille sur la télédétection des objets du patrimoine au sens large, incluant les paysages, les monuments, le mobilier conservé dans les musées (objets archéologiques ou non)… toujours avec un intérêt scientifique, au sein de la plateforme GeoBFC de la MSHE.
Les chercheurs ont développé les premières techniques d’acquisition 3D en 2014-2015, simultanément à l’achat d’un premier drone, en profitant du vecteur aérien et du développement des logiciels de photogrammétrie aéroportée. Dès 2013, une collaboration avec Rachel Opitz, spécialiste du LiDAR (télédétection par laser aéroporté), alors post-, a permis à Matthieu Thivet d’explorer trois aspects : la photogrammétrie par drone, l’embarquement LiDAR miniature (construction du premier capteur pour drone miniature dans le cadre du projet YellowScan) et le scan métrologique de très haute précision grâce à un scanner ordinairement destiné à l’aéronautique, à l’industrie automobile et au domaine médical.
En 2014, la MSHE investit également dans un premier scanner d’objets (système Atos Core, développé par la société GOM) et a commencé à développer une expertise dans le domaine de la télédétection 3D, pour laquelle elle est reconnue nationalement aujourd’hui. Le scanner GOM est celui qui est déployé pour l’acquisition 3D du mobilier de Bibracte dans le cadre du projet EUreka3D, avec notamment des modèles photogrammétriques issus du secteur PC15 (fouilles de l’Université de Bourgogne-Franche-Comté) et des modèles d’objets issus des collections du musée de Bibracte. Il s’agit d’un scanner à lumière structurée, qui projette sur l’objet des modèles précis de franges parallèles et mesure la déformation de la frange portée sur la surface de l’objet à partir des trajectoires des faisceaux connues à l’avance (la déformation est enregistrée par deux caméras qui fonctionnent selon le principe de la stéréoscopie). Le laboratoire est doté de deux têtes de scanners – avec un écart entre les deux capteurs stéréoscopiques variant entre 85 et 150 – mesurant l’écartement de la frange lumineuse. La petite tête scanne jusqu’à 3 microns : elle a un champ de vision plus réduit, mais une résolution plus élevée. La grande tête a un champ de vision plus large, mais une résolution plus faible (7 microns). Les volumes numérisés dépassent difficilement 1 m3. Les fichiers produits prennent la forme de maillages (mesh).
Certains objets sont moins adaptés à l'utilisation de cette gamme de scanner, comme par exemple une antéfixe en terre cuite, qui présente trop de reliefs/cavités et donc d’irrégularités, tandis que certains matériaux perturbent la numérisation avec des surfaces réfléchissantes, à l’instar des reflets du verre, des pâtes céramiques avec certaines inclusions (ex : quartz), du métal restauré à l’aide de résines ou par électrolyse, etc. Il en résulte des données de mesure parfois incomplètes, avec des trous et des triangles erratiques. Le temps d’acquisition varie de quelques heures à quelques jours, en fonction de la dimension et de la complexité des objets. La texture (colorimétrie) du modèle est obtenue par photogrammétrie (donc par cumul avec le scanner).
Pour Matthieu Thivet, cette technologie soulève principalement deux questions : sur quel(s) type(s) d’objets le scanner est-il le plus efficient et à sur quel(s) type(s) d’artefacts est-il inadapté (morphologie, matériau, etc.) ?
Elle questionne également la conservation des données, en raison du poids des fichiers, de la pertinence des scans, du format retenu. Faut-il systématiser la conservation de chaque fichier brut au format propriétaire (logiciel ATOS), ce qui implique la conservation de chaque scan, de chaque photogrammétrie, avec ses erreurs, ses corrélations, etc. ? Ou faut-il ne conserver que les fichiers PLY issus du maillage, qui permettent de choisir la précision désirée à l’export ?
En effet, on passe par exemple de 500 Mo à 10 Mo pour un même objet de 20 cm environ avec une faible perte de qualité. La décimation semble alors souhaitable, dans la mesure où elle intervient principalement sur des secteurs avec peu de changements dans les orientations des triangles du maillage (modifications des normales des triangles). Si la captation 3D est motivée par des problématiques scientifiques, la haute résolution paraît s’imposer. S’il s’agit d’une prévisualisation dans le cadre de la transmission au public, une baisse de résolution apparaît souhaitable. Matthieu Thivet s’interroge : « Peut-on réussir à sortir de la numérisation 3D du mobilier archéologique quasi-exclusivement employée pour la médiation ? Peut-on envisager de déployer plus fréquemment cette technologie à des fins scientifiques, par exemple pour des investigations tracéologiques ou pour la sauvegarde du patrimoine ? Pourquoi scannons-nous en 3D ? Il faut que la communauté archéologique se pose la question et que cela ne devienne pas un effet de mode sans finalité précise... ».